Vous avez cree en 2014 a Bayonne un centre de recherche i  propos des musiques de l’univers (ARI) et le festival Haizebegi, qui melange musique et recherche.

Vous avez cree en 2014 a Bayonne un centre de recherche i  propos des musiques de l’univers (ARI) et le festival Haizebegi, qui melange musique et recherche.

Pouvez-vous nous en dire plus via votre festival ?

Denis Laborde1 : En langue basque, « haize begi » signifie « regard du vent ». J’ai musique, tel le vent, ignore les frontieres et a temoignage. Elle evoque quelque chose de celles et ceux qui la font, ainsi, elle constitue une magnifique a d’entree sur l’ensemble des univers de culture. Ce festival, que nous avons cree avec les doctorants de l’EHESS, reste unique en son genre. Cela conjugue nos sciences sociales (conferences, debats, colloques, publications) et J’ai musique (concerts, films, expositions, danse).

Pour une telle sixieme edition, qui se deroulera jusqu’au 20 octobre, nous accueillons des musiciens syriens, cubains, argentins, kanaks, et des createurs basques qui vont i?tre a l’honneur avec Rain of Music, 1 invraisemblable opera pour robots, a la pointe des nouvelles technologies et compose dans le cadre d’un projet scientifique international2. Nous accueillons aussi des Selk’nam et des Yagan de l’extreme sud en Patagonie, grace a l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson qui leur consacre sa these. Ils viennent d’Ushuaia, de Puerto Williams et du Cap Horn ; leurs ancetres ont ete exhibes dans des « zoos humains » lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, ou bien vendus aux encheres a Punta Arenas en 1895.

Pour evoquer cette memoire douloureuse, nous organisons le 12 octobre une ceremonie de resilience :

Lars Christian Koch, qui dirige le Phonogramm-Archiv de Berlin, leur remettra solennellement des copies des enregistrements sonores qui furent realises entre 1907 et 1923, via des missions ethnographiques allemandes en Terre de Feu. C’est une maniere tres symbolique de leur rendre la voix de leurs ancetres.

Le festival, tel que nous le concevons, ne considere pas du tout la musique comme un instrument de divertissement : c’est votre outil d’intelligibilite des societes humaines, qui fait de l’art de l’ecoute une attitude de connaissance qui s’etend bien au-dela de la musique. C’est pourquoi un festival organise par des chercheurs n’est gui?re la aussi chose qu’un festival organise avec des operateurs culturels, ne serait-ce que parce que nous y associons un « programme » de 332 pages en forme de revue scientifique.

En quoi l’anthropologie d’une musique consiste-t-elle ?D. L. : C’est une maniere specifique de saisir les « faits de musique ». Tout est parti d’une curiosite, d’une libido sciendi , et d’un desir de sauvetage, a quoi s’est ajoute 1 outil providentiel : l’ecriture musicale concernant portee de cinq lignes. Pendant diverses siecles, les transcriptions musicales permettent de « sauver » les musiques des autres ; les recueils et les chansonniers en portent temoignage.

Neanmoins, Quand Thomas Edison invente le phonographe a cylindre, ce sont les sons que l’on conserve, et ce des 1889. Que Realiser alors de ces rouleaux de cire ? On un dedie de belles phonotheques : a Vienne, Berlin mais aussi Paris, applications de rencontre biraciales au milieu des Archives de la paroles, creees par Ferdinand Brunot et Emile Pathe

Mes etudes i  propos des musiques de tradition orale se developpent donc dans les musees. C’est une maniere de preserver ce que l’on nommerait aujourd’hui votre « patrimoine de l’humanite ». Puis les ethnomusicologues se posent des questions passionnantes : comment les repertoires s’inventent-ils, se stabilisent-ils, se diffusent-ils, s’influencent-ils ? Comment les transcrire, quelles paraissent leurs proprietes ? Comment peuvent-ils resonner en nous, susciter des pensees, des emotions, des etats d’ame ? Comment mettent-ils nos corps en mouvement dans la danse ou dans la transe ? Au-dela, nous pouvons analyser la maniere dont des gens se reunissent, font d’une musique ensemble ; consulter des significations culturelles qui leur sont attachees et l’existence sociale de ceux qui fabriquent ces musiques.

La musique a-t-elle une dimension universelle ou des significations eventuelles selon les cultures et nos peuples ?D. L. : J’ai musique a ceci en commun avec le langage qu’elle reste une capacite de l’espece humaine. Tous les etres humains peuvent parler et faire d’une musique. Il n’empeche que l’humanite parle des langues tres diverses et joue des musiques distinctes. Mes capacites humaines paraissent « phylogenetiquement determinees et culturellement determinantes », nous dit Dan Sperber3. C’est i§a, l’universalisme d’une musique. Mon chien Mugi essaie de parler, de chanter aussi. Je sens bien qu’il progresse, mais ca ne vient gui?re. J’ai du renoncer : il lui manque une determination phylogenetique.

Donc pour repondre a ce question : oui, la musique a une dimension universelle pour le sens que c’est une capacite commune a l’espece humaine. Pour autant, etre universaliste ne veut pas dire que l’on cherche a construire une theorie generale une musique qui vaudrait de tout temps et en tous lieux. Chaque occasion de musique est unique et nous l’etudions en tant que telle. Ensuite, nous mettons en collection l’integralite des cas etudies, ainsi, nous voyons si nous pouvons generaliser, ou gui?re. Mais le souci de generalisation n’intervient qu’apres des analyses in situ, sinon le regard est biaise.

Pourriez-vous donner une illustration concrete, d’une etude que vous meneriez actuellement notamment ? D. L. : Depuis 2015, je m’interesse aux pratiques musicales des personnes qui se trouvent en situation de migration forcee. Il y a desormais 1 extri?mement afflux de migrants au Pays basque. Ils traversent la peninsule Iberique et se retrouvent a Bayonne, ou l’Institut Plusieurs sciences humaines et sociales du CNRS vient d’installer notre institut ARI (pour Anthropological Research Institute on Music)4.

Cet afflux reste remarquablement gere par la ville et par les benevoles regroupes en associations.

Il faut que cela se sache : le centre Pausa a accueilli 10 000 migrants en moins d’un an dans une dynamique tres positive. Dans le cadre de l’institut, nous developpons un planning pour comprendre et cela se a si des migrants font de la musique dans ces lieux de repit.